Comme je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire en ce moment, voici un texte que j'avais écrit sur un autre blog quand le livre dont je parle est sorti... Si vous ne connaissez pas Fioretto, lisez-le!
PASTICHE :
n.m.: Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l’auteur a imité la
manière, le style d’un maître, par exercice de style ou dans une intention
parodique (Petit Robert). Aujourd’hui on lit peu de pastiches. Il faut dire
que le genre suppose une connivence entre celui qui écrit et celui qui lit. Il
faut une accoutumance, une familiarité, des indices qui rendent les clins d’œil
possibles. C’est un truc d’initiés, une pratique qui fait penser à Proust, vous
savez, le type qui mangeait des madeleines…
En 2008, celui
qui veut lire ses contemporains a le tournis : avec plusieurs milliers de
romans qui sortent chaque année dans l’Hexagone, le pauvre amateur de bouquins
ne sait plus vers qui se tourner. Il y a bien les valeurs sûres, les
classiques, les Victor Hugo, Molière et consorts. Mais pour certains ces
noms-là engendrent d’emblée des migraines atroces, des souvenirs douloureux de
cours de français avec Mme Machin, la vieille binoclarde qui s’exaltait devant
un texte à commenter et qui était bien la seule dans la classe. Heureusement
qu’aujourd’hui, nous avons des guides : les journalistes littéraires de la
radio et de la télé, les fameux « coups de cœur » des libraires, les conseils
de Tata Jeannine. Et pourtant…
Pourtant
certains restent dubitatifs : toutes ces incitations à lire Truc et
Bidule, ce ne serait pas un tout petit peu dicté par une logique
commerciale ? N’y aurait-il pas une pression des éditeurs pour que leurs
poulains soient chouchoutés ? Les obscurs, ceux qui publient à compte
d’auteur dans une petite maison d’édition que personne ne connaît, pourquoi n’ont-ils
jamais l’immense satisfaction que doit représenter une invitation chez
Denisot ? Hein, pourquoi on ne les voit jamais dans les endroits en vue,
pourquoi ils ne reçoivent pas le Prix de Flore ?
Beaucoup
d’appelés, peu d’élus. La littérature, c’est comme Dallas : un
univers impitoyable. Aujourd’hui, si votre nom est célèbre et votre livre
médiocre, vous avez plus de chances d’être publié que si vous êtes l’auteur
inconnu d’un livre formidable. Un grand écrivain est un écrivain célèbre… C’est
le syndrome Star Academy. Il y a donc des célébrités de la littérature.
Et quand on est une célébrité, on est parfois gentiment égratigné. C’est ce
qu’a fait Pascal Fioretto avec son recueil de pastiches Et si c’était niais ?,
titre que les plus avertis d’entre vous auront compris comme un clin d’œil à
Marc Lévy. Fioretto fait partie de ceux qui savent écrire mais ne passent pas à
la télé. C’est un nègre, quelqu’un qui sait écrire et se met au service de ceux
qui n’ont pas ce talent mais veulent que leur nom apparaisse sur la couverture
du bouquin. Vous savez, quand Johnny Hallyday ou Loana écrivent leur
autobiographie « avec l’aimable collaboration de… ». Eh bien c’est
l’homme de l’ombre qui se tape tout le boulot.
Cette fois,
Pascal Fioretto met son nom sur la couverture, pour rendre un hommage un peu
empoisonné à toutes les célébrités médiatiques de la littérature actuelle. Il a
changé les noms, mais si vous fréquentez régulièrement le rayon livres de la
Fnac, vous retrouverez les vrais sans problème. J’appelle donc les stars de Si
c’était niais à la barre : Denis-Henri Lévy, Christine Anxiot, Fred
Wargas, Marc Lévis, Mélanie Notlong, Pascal Servan, Bernard Werbeux, Jean
d’Ormissemon (de la française Académie), Jean-Christophe Rangé, Frédéric
Beisbéger et Anna Galvauda. Et là, votre grand frère (qui ne lit jamais rien et
regarde cette liste par-dessus votre épaule) s’exclame « Ah mais oui, lui
je le connais ! ». Normal : si vous ne lisez pas ces auteurs, il
y a de grandes chances que vous ayez vu l’adaptation cinématographique de leur
chef-d’œuvre (cf. Les Rivières pourpres de Grangé ou 99 francs de
Beigbeder…).
Il ne faut pas
croire que Fioretto se livre à un pur exercice de style : son livre comporte
une VRAIE histoire. Le commissaire Adam Seberg enquête sur la disparition de
tous ces écrivains, dans un livre où chaque chapitre est pris en charge par
l’un d’eux. Vous voyez le jeu de miroirs… Le pasticheur s’est bien amusé avec
les titres. Parmi mes préférés, on trouve Tais-toi si tu veux parler
(souvenir de l’auteur de polars Fred Vargas bien sûr, rebaptisée Wargas, dont
on aura reconnu l’usage de l’impératif et le sens de la menace), Hygiène du
tube (et tout le tremblement) – arriver à mélanger ensemble trois titres de
Nothomb, c’est fort – ou encore le métaphorique et hilarant Ils ont touché
à mes glaïeuls de Pascal Servan, clone du présentateur mondain de « La Chance aux chansons »,
qui était écrivain à ses heures comme chacun sait.
Fioretto attribue
à chacun de ses personnages une obsession, un défaut, une figure de style
involontaire au non. Et quand on connaît les modèles, c’est très drôle.
Denis-Henri Lévy ne jure que par les Etats-Unis, Charles Baudelaire et fait du name
dropping philosophique. C’est un grand narcissique qui s’écoute parler,
comme le suranné et aristocratique Jean d’Ormissemon dont le nom préfigure son
côté soporifique pour l’interlocuteur. Christine Anxiot est une hystérique qui
parle de sexe, une castratrice qui menace ses amants de balancer à ses nombreux
lecteurs leur nom et leur adresse, qui pratique une écriture hachée
particulièrement désagréable mais aussi très drôle : « On a fait
l’amour dans une serviette de bain. Encore que. Elle était grande. Pas sa
queue. La serviette. Encore que. » Parfois, c’est une véritable
anecdote qui inspire l’écriture : si Mélanie Notlong mange des aliments
périmés, c’est parce qu’Amélie Nothomb a déclaré un jour à la presse qu’elle
adorait les fruits pourris… De même, si Pascal Servan se montre aussi souvent
politiquement incorrect, c’est parce que son modèle avait tenu des propos
racistes (la fameuse « bite des Noirs » (sic) responsable des
malheurs de l’Afrique), propos qui avaient fait travailler les médias… Parfois
le détournement du nom est facile :
le Danglard de Fred Vargas devient inévitablement chez sa consoeur imaginaire
Fred Wargas le « lieutenant Glandard ». Beisbéger est BCBG.
Le prof de
français qui lit ces pastiches a de quoi se réjouir : lui qui se demande
tous les ans comment il peut faire apprendre les figures de style à ses lycéens
en étant efficace et pas trop rébarbatif, il peut puiser abondamment chez
Fioretto : Bernard Werbeux est le roi du pléonasme (« En regardant
par la fenêtre ouverte, il vit dans l’aube le jour naissant qui se levait »)
et du zeugme, procédé moins connu qui consiste à associer le concret et
l’abstrait à partir d’une même base verbale (« - Pas de soucis, mon
ange gardien me protège ! répondit-il en caressant le visage de sa femme,
la tête de ses enfants et le projet de prendre une assurance-vie »).
Parfois, on a recours à des métaphores, mais c’est moins fin et un peu facile
(Pascal Servan : « Je vais pouvoir rappeler le plombier de
Mézieux-la-Gourde. Celui qui est si bien outillé »). Frédéric
Beisbéger, en bon publicitaire, aime les jeux de mots pourris (« je
patiente au bord de l’amer ») mais parfois littéraires (« Moi,
j’attends devant le désert de mon tartare », précise-t-il à table).
Enfin, tous
ces écrivains ont leur univers : glauque (Jean-Christophe Grangé), mondain
et démodé (Jean d’Ormessemon), mondain, démodé et de mauvais goût (Pascal
Servan), japonisant et mystérieux (Mélanie Notlong), misérabiliste (Anna
Galvauda).
C’est donc
tout un petit monde littéraire contemporain qui est ici ridiculisé, avec ses
grandes préoccupations et ses petites poussées narcissiques. Reste que dans
cette histoire de disparition d’écrivains, qui constitue le fil de l’intrigue,
il en reste un qui n’a pas été mentionné : Michel Houellebecq (à vous de
rebaptiser son alter ego). Pourtant, il y aurait de la matière. Cher monsieur
Fioretto, pouvons-nous compter sur la possibilité du livre ou l’extension du
domaine du pastiche ?
Pascal
Fioretto, Et si c’était niais ?, Pocket, 2008.